Dans le chapitre précédent, nous avons examiné le témoignage rendu par le Coran à l'intégrité de la Torah-Ancien Testament et à l'Evangile-Nouveau Testament. Mais nous ne sommes pas au bout de nos recherches, car les musulmans puisent aussi leurs informations et leur doctrine à une autre source, celle du Hadith. Le mot Hadith peut se traduire par "conversation" ou "récit" ou "propos" mais dans la théologie islamique ce terme désigne la narration des actes ou des propos du Prophète Muhammad, rapportée par ses Compagnons. Ces actions et ces paroles ont été ensuite rassemblées dans différents recueils, tels que le Hadith Qudsi, dans lequel c'est Dieu lui-même qui parle, et le Hadith Nabawi qui rapporte les mots et les habitudes ou pratiques (Sunna) de Muhammad. A un certain moment, les mots sunna et hadith étaient pratiquement synonymes, mais peu à peu on a réservé au mot sunna un sens plus spécialement religieux. Outre qu'elles devaient être répétées pour l'édification spirituelle des croyants, les paroles et les pratiques de Muhammad étaient soigneusement codifiées et constituaient un précédent qui faisait jurisprudence. Ce code prit le nom de Sunna et devint la deuxième loi après le Coran. L'anecdote suivante aidera a saisir l'importance de la Sunna. Je vivais en Tunisie depuis quelque temps déjà quand j'ai rencontré un Mu'addib. Le Mu'addib vient aider la famille d'un défunt en venant réciter des extraits du Coran sur la tombe du disparu. Celui que je rencontrai était pauvrement vêtu, mais il avait une connaissance étendue sur de nombreux sujets. Outre sa propre religion, il était en mesure de citer Abraham Lincoln et d'autres grands hommes de l'histoire. Notre conversation tourna sur les questions religieuses. Il me déclara, à propos de l'Islam: "Notre religion repose pour moitié sur le Coran et pour moitié sur le Hadith." Voici d'ailleurs un autre fait qui souligne l'importance du Hadith pour les musulmans. 200.000 exemplaires du Coran et du Hadith d'Al-Bukhari viennent d'être imprimés en Uygur, une des langues parlées en Chine. On comprend qu'après tant d'années de persécutions infligées par le régime athée et les Gardes Rouges, les musulmans aient éprouvé le besoin de réimprimer le Coran, au même titre que les chrétiens chinois ont désiré réimprimer la Bible dans leur langue. Mais le fait d'avoir associé au Coran le Hadith est très significatif du rôle joué par ce dernier(1). (Al-Bukhari est, avec Muslim, l'un des musulmans les plus estimé parmi tous ceux qui ont rassemblé les traditions de Muhammad). Au cours d'une conversation les musulmans citent les hadiths aussi souvent que le Coran pour soutenir la doctrine au centre de la discussion. "Le Coran révèle la doctrine fondamentale; le Hadith apporte les éclaircissements aux points obscurs du Coran et explicite ses décrets", me confia un ami. L'éditeur du livre Quarante Hadiths de l'Imam Nawawi déclare dans sa préface: "Le Coran parole de Dieu révélée à Muhammad et les hadiths enseignements du Prophète sont les deux sources de l'Islam. La connaissance de cette religion ne saurait se passer de ces deux textes."(2) C'est sans doute très poétique et très beau d'envisager le Hadith comme un texte, et tout croyant musulman trouvera de bonnes raisons de raisonner ainsi. Pourtant, considérer le Hadith comme un texte prête à confusion. En effet on pourrait penser que son contenu est bien délimité et que tout le monde est d'accord sur celui-ci. Malheureusement ce n'est pas le cas. Dès qu'on aborde la question des hadiths on soulève un débat de fond : quels sont les hadiths authentiques et quels sont ceux qui ne le sont pas? Au cours des siècles d'innombrables anecdotes sur Muhammad se répandirent. On finit par se rendre compte que tous les hadiths n'étaient pas authentiques. Des études approfondies furent entreprises pour effectuer un tri et retrouver les collections de récits et de paroles les plus anciennes. A propos de la collection rassemblée par Bukhari, E.K. Ahamed Kutty, de l'Université de Calicut aux Indes déclare: "Il (Bukhari) prit en considération 600 000 traditions dont il n'en retint que 7397 ou, selon d'autres spécialistes, 7 295. Une même tradition est souvent reprise dans plusieurs chapitres. Si on élimine les répétitions, on réduit le nombre de hadiths distincts et différents à 2 762."(3) Nous en déduisons que 3 ou 4000 hadiths seulement furent jugés authentiques ou "forts". Les autres furent rejetés comme "faibles" ou "fragiles" ou "apocryphes", pour employer un terme théologique. Pour quelle raison a-t-on écrit les hadiths inexacts? Sans doute pour exalter l'islam et Muhammad et pour fournir une justification à une doctrine favorite. Dans son livre Islam Fazlur Rahman donne l'exemple suivant: "Avec le fossé de plus en plus profond qui s'établit entre la pratique Sufi d'une part et l'émergence d'un système orthodoxe de l'autre, apparut un nouveau corps de hadiths. Pour appuyer leur point de vue, les Sufis formulèrent (c.-à-d. inventèrent) des affirmations, parfois les plus rocambolesques et historiquement totalement imaginaires qu'ils attribuèrent au Prophète."(4) Les Sufis ne furent pas les seuls à agir ainsi. A la page 65 du même ouvrage, après avoir cité le prétendu hadith selon lequel le Prophète aurait déclaré : "Quel que soit le propos, s'il est bon, vous pouvez considérer que je l'ai prononcé." , Rahman poursuit par ces mots: "Il n'y a pas d'autre hypothèse que celle-ci qui puisse expliquer le fait que des développements post-prophétiques palpables - les positions théologiques concernant la liberté humaine, les attributs divins, etc. - furent mis dans la bouche du Prophète lui-même." C'est pourquoi nous posons à nouveau la question lancinante : "Quels sont les hadiths authentiques?" A cette question, un homme a répondu : "Sont authentiques les hadiths qui ont un sens pour moi". Une telle réponse fait donc intervenir un présupposé pour chaque hadith. Un autre homme, un maître d'école, face à cette même question a déclaré : "Pendant dix ans je me suis interrogé à ce sujet et je ne sais toujours pas quels hadiths sont vrais !" Bien des musulmans résolvent la difficulté en refusant d'accepter les hadiths comme une révélation. La confusion est entretenue par les chefs religieux et les conférenciers qui continuent de s'appuyer sur les hadiths douteux quand ceux-ci vont dans le sens de leur argumentation. L'Imam An-Nawawi a choisi ses Quarante Hadiths au 7e siècle de l'Hégire (14e siècle de l'ère chrétienne); dans son introduction, il explique longuement la valeur de son choix et de la mémorisation des 40 hadiths: "Il nous a été rapporté d'après Alî ibn Abî Tâleb, Abdoullah ibn Mas'ud, Aboud-Dardâ, Ibn Omar, Ibn Abbâs, Anas Ibn Mâlik, Abou-Hourayra et Abou Saïd al Khoudrî (Puissent-ils bénéficier de l'agrément d'Allah), à travers plusieurs chaînes d'autorité(5), et en différentes versions que le Messager d'Allah a dit: "Quiconque aura retenu par coeur et conservé à l'intention de ma communauté quarante hadiths se rapportant aux points de sa religion, Allah le fera ressusciter, au Jour du Jugement, en compagnie des juristes et des savants attitrés en religion." Dans une autre version il est dit : "Allah le fera revivre en juriste et docteur en matière de religion ". Dans la version d'Abou-Dardâ, il est précisé : "Au Jour du Jugement, je serai pour lui un intercesseur, et témoignerai en sa faveur". La version d'Ibn Mas'oud s'exprime ainsi: "On lui dira: Entre donc par n'importe quelle porte du Paradis que tu voudras!". Enfin, selon le texte attribué à Ibn Omar : "Son nom sera inscrit parmi les savants docteurs en religion, et il sera ressuscité en compagnie des martyrs." Quel n'est pas alors notre étonnement qu'après tant de références écrites, l'auteur puisse continuer ainsi: "Les docteurs en matière de Hadith sont toutefois d'accord pour n'attribuer au Hadith en question qu'un faible coefficient d'authenticité, en dépit de la multiplicité des voies de transmission."(6) Il poursuit en disant que bien que "les théologiens approuvent les références à des hadiths faibles (douteux) quand il s'agit de bonnes oeuvres", il a décidé, quant à lui, de ne faire appel qu'aux hadiths forts (authentiques) et spécialement à ceux des collections de Al-Bukhari et de Muslim.(7) Puisqu'il a fallu des spécialistes pour conclure que la tradition du hadith rapporté plus haut est faible (douteuse), malgré la multiplicité des voies de transmission, on comprend combien il doit être difficile pour une personne qui ne possède qu'une connaissance religieuse moyenne, de se prononcer sur la validité d'un hadith donné. De plus, quand on considère les discussions animées qu'ont, sur ce sujets, des savants, on se rend mieux compte du découragement qui doit s'emparer du croyant non-spécialiste. Dans un article intitulé "L'Anti-Christ: entre vérité et fantasme", l'auteur, le Dr. Ahmad 'ud An-Nashash(8) cite trois autres écrivains qui ont abordé le sujet de l'Anti-Christ, mentionné dans certains hadiths. Deux des citations s'accompagnent des critères de jugement pour savoir si un hadith est valable. Après avoir affirmé que le Coran ne fait aucune mention de l'Anti-Christ et donné ses raisons de ne pas reconnaître la validité des hadiths en question, 'Abd-ar-razzaq Naufal pose la question: "Comment pouvons-nous nous fier à ces hadiths qui n'ont aucun support dans le Coran?" Plus loin, dans le même article, sont citées les paroles de Mustapha Mahmud: "Les musulmans puisent leur croyances religieuses à deux sources : le Livre (le Coran) et la Sunna, sans marquer de distinction entre les deux car la Sunna forte ou authentique est révélation." (Et, comme preuve de ce qu'il avance, il cite la Sourate de l'Etoile (Al-Najm) 53.3-4: "Et il (Muhammad) ne parle pas non plus d'impulsion: ce ** n'est là que révélation révélée."(9) C'est pourquoi chaque fois que nous nous trouvons en présence d'un hadith fort (authentique) nous devons l'accepter, qu'il ait, dans le Coran, une preuve qui le confirme ou non. Mais si un hadith fort contredit le texte du Coran, nous sommes devant un autre problème... qui nécessite une exégèse du Hadith et une discussion pour savoir lequel, du Coran ou du Hadith, est antérieur à l'autre. Ainsi donc, nous constatons que Naufal, un spécialiste de la question, déclare qu'un hadith doit avoir un certain support du Coran ; Mahmud, l'autre spécialiste, affirme, quant à lui, que ce support coranique n'est pas nécessaire et que tout ce que le Prophète a dit l'a été par révélation, Coran aussi bien que Hadith. Enfin lorsqu'il y a opposition entre le Hadith et le Coran, une étude sérieuse doit précéder toute conclusion. Il est absolument assuré que certains hadiths sont forts. Il en existe au moins un qui possède une confirmation biblique, comme nous le verrons dans la suite de ce chapitre. Hamidullah estime valable la collection d'Al-Bukhari. Voici ce qu'il en dit dans l'introduction de la traduction française du Coran: "Supposons que Bukhâri dise: Je tiens d'Ahmad ibn Hanbal, qui le tient d'Abdar-Razzâc, qui le tient de Ma'mar, qui le tient de Hammâm, qui le tient d'Abou-Huraira, que le prophète à dit telle ou telle chose. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, on a découvert les manuscrits de Hammâm, de Ma'mar et d'Abdar-Razzâc - l'ouvrage d'Ahmad étant depuis longtemps connu. Or, en cherchant dans ces sources antérieures à Bukhâri, on constate que Bukhâri n'a ni menti ni ramassé le simple folklore de son époque : il se repose sur des sources écrites authentiques."(10) Mais malgré le témoignage de Hamidullah en faveur du Hadith,
chaque musulman est confronté à un certain doute sur sa valeur.
Et cette attitude se retrouve à l'égard du christianisme. L'Evangile: un ensemble de hadithsIl arrive que des musulmans qui lisent l'Evangile de Jésus-Christ rapporté par Matthieu, Marc, Luc et Jean se retranchent derrière l'affirmation : " Ces récits ne sont que des hadiths. Ce n'est pas comme le Coran. " Pour eux, le Coran est une loi révélée qui indique comment il faut se comporter, tandis que la plupart des hadiths rapportent des histoires ou des événements survenus dans la vie de Muhammad - en particulier des événements qui expliquent pourquoi certains versets lui ont été révélés. Ils croient que la Bible devrait ressembler au Coran aussi, lorsqu'ils découvrent de longs passages historiques ils s'écrient : "Ce ne sont que des hadiths" et ils sous-entendent par là que la Bible n'est pas véritablement la Parole de Dieu, ou à la rigueur qu'elle l'est mais à un degré inférieur. A titre d'exemple, considérons quelques versets de l'Evangile de Luc: "La mère et les frères de Jésus se présentèrent mais ils ne purent l'aborder à cause de la foule. On l'en informa : Ta mère et tes frères sont dehors et veulent te voir. Mais il leur dit : " Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique" Luc 8.19-21. Beaucoup de musulmans pensent que l'Evangile vrai ne doit contenir que les mots imprimés en caractères gras; ils les considéreraient comme les paroles de Dieu, prononcées par Jésus. Et dans un autre livre devrait figurer le Hadith suivant: D'après Jacques, le demi-frère de Jésus (puisse-t-il bénéficier de l'agrément de Dieu ! ), le passage de Luc 8.21 a été révélé dans les conditions suivantes: Alors ma mère, mes frères et moi-même étions venus pour voir Jésus, mais nous n'avons pas pu l'approcher à cause de la foule. Quelqu'un lui rapporta: "Ta mère et tes frères sont dehors et veulent te voir." Alors le verset a été révélé: " Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique." Ce hadith a été transmis par Luc et Marc dans leurs livres, à coté d'autres récits (ceux de Matthieu et de Jean) qui constituent le recueil de hadiths le plus précieux. (Le texte en italique correspond à des arrangements ou à des ajouts.) Prenons un deuxième exemple. Marc rapporte ainsi les paroles de Jésus sur la nourriture: "Il n'est rien qui du dehors entre dans l'homme qui puisse le rendre impur mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui le rend impur" Marc 7.15. Une telle déclaration serait typique du Coran, et un autre livre planterait le décor dans lequel ces mots ont été prononcés. Ce serait, par exemple, le hadith suivant: D'après Pierre, l'un des douze disciples les plus proches de Jésus (puissent-ils, lui et les autres, bénéficier de l'agrément de Dieu!) l'enseignement de Jésus sur la nourriture, tel que le rapporte Marc 7.15 et 20-23. a été délivré dans le contexte suivant: Les pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem... virent quelques-uns d'entre nous prendre le pain avec des mains impures - des mains qui n'avaient pas été lavées selon le rite légal. Les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus: Pourquoi tes disciples ne marchent-ils pas selon la tradition des anciens, et prennent-ils leur pain avec des mains impures? Jésus appela de nouveau la foule et lui dit: Ecoutez-moi tous et comprenez. Il n'est rien qui du dehors entre dans l'homme qui puisse le rendre impur; mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui le rend impur. Lorsqu'il fut entré dans la maison, loin de la foule, nous l'interrogeâmes sur cette parabole. Il nous dit : Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence? Ne saisissez-vous pas que rien de ce qui, du dehors, entre dans l'homme ne peut le rendre impur? Car cela n'entre pas dans le coeur, mais dans son ventre, puis est évacué à l'écart... Puis il poursuivit et toutes ces paroles furent révélées : "Ce qui sort de l'homme, voilà ce qui le rend impur. Car c'est du dedans, c'est du coeur des hommes que sortent les mauvaises pensées, prostitutions, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchanceté, ruse, dérèglement, regard envieux, blasphème, orgueil, folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et rendent l'homme impur." Ce hadith fut transmis par Marc qui le reçut de Pierre. Matthieu le transmit également. Comme dans l'exemple précédent, j'ai ajouté tout ce qui est en italique, mais le reste du récit est textuellement contenu dans le récit que fournit l'Evangile de Marc 7.1-2,5,14-23. Il est dont clair pour tous ceux qui ont lu l'Evangile que celui-ci ne correspond pas à l'idée que s'en font les musulmans. Comme l'ont bien montré ces exemples, les paroles de Dieu prononcées par Jésus et le contexte historique dans lequel elles ont été prononcées sont intimement imbriqués dans la narration. Ce problème m'a longtemps embarrassé, et je ne savais que répondre lorsqu'on me disait : "Ces récits ne sont que des hadiths". La plupart des musulmans n'attribuent pas au simple Hadith la même valeur qu'au Coran. Chacun est relativement libre d'accepter un hadith ou de le rejeter, selon sa compréhension. D'autres musulmans, à cause des difficultés mentionnées ci-dessus, refusent de considérer le Hadith comme une révélation. Aucune de ces attitudes ne saurait caractériser le comportement du chrétien vis-à-vis de la Bible. C'est pourquoi je ne pouvais pas admettre que l'Evangile ne fût qu'un Hadith. Par ailleurs, j' étais aussi perplexe en constatant que le
Coran contient, lui aussi, beaucoup de hadiths, autrement dit des
narrations. On y trouve de longs développements historiques sur
la chute du diable, sur Adam et Eve, sur Noé, sur Marie, la
mère de Jésus, et même des sections historiques très longues
sur Abraham et sur Moïse. L'histoire de l'annonce à Abraham de
la bonne nouvelle de la naissance d'Isaac fait l'objet des
passages coraniques suivants: La Sourate mecquoise ancienne
51.24-37, la Sourate mecquoise tardive 11.69-83 et la Sourate
mecquoise tardive 15.51-77. La 28e Sourate est même intitulée
"le récit" (Al-Qasas). Pour quelles raisons alors
reprocherait-on à l'Evangile de contenir des récits
historiques, puisque le Coran lui-même en est si abondamment
pourvu? La clé du problèmeJ'étais donc terriblement perplexe. D'un côté le Hadith semblait excessivement important, mais de l'autre, il paraissait arbitraire et dénué de valeur. C'est alors que je lus le livre intitulé Islam de Fazlur Rahman, dans lequel j'ai trouvé cette réflexion: "Car, si on rejette le Hadith dans son ensemble c'est du même coup toute la base de l'historicité du Coran qui s'écroule."(11) '(Les caractères italiques sont dans l'ouvrage même, par contre, j'ai souligné par l'emploi de caractères gras.) Certains lecteurs ne partageront pas ce jugement. Pourtant, je suis persuadé que s'ils l'étudiaient attentivement, ils finiraient par en reconnaître la profonde justesse. Car, malgré certaines sections historiques, le Coran ne comporte que très peu d'allusion à l'histoire et à la vie de Muhammad, aux combats qu'il a soutenus, etc. Il est donc bien vrai que si on supprime le Hadith comme un tout, nous ne saurions pratiquement plus rien des jeûnes et des méditations de Muhammad dans une grotte, ni des circonstances dans lesquelles lui ont été données les révélations, ni des conditions de sa fuite à Médine, etc. Bien que la bataille de Badr revête une très grande importance pour l'histoire de l'Islam, elle n'est mentionnée explicitement qu'une seule fois dans le Coran, dans la Sourate de la Famille d'Amram (AI 'Imran) 3.123, de l'an 2-3 de l'Hégire. La seule façon de savoir ce qui s'est réellement passé et de mesurer la portée de cet événement, c'est donc de se reporter au Hadith. C'est pourquoi, l'essentiel des données du chapitre III de la troisième section de ce livre sur l'origine du Coran provient du Hadith. Nous devons donc tirer la conclusion logique suivante: Le Coran, considéré par tout musulman comme pure révélation, ne peut prouver cette nature de "pure révélation" qu'en faisant appel au matériau humain(12), et donc moins fiable, du Hadith. Il appartient donc à chaque musulman, même à ceux qui n'accordent que peu de crédit au Hadith, d'apprécier si le témoignage d'Abou Bakr, de 'Umar Ibn Khattab, de 'Uthman, et des autres qui sont cités dans le Hadith est suffisamment solide, et si sa transmission s' est faite avec assez de précision et de fidélité pour que leurs narrations des conditions dans lesquelles Muhammad a reçu le Coran puissent être acceptées sans réserve. Si le Hadith, matériau essentiellement historique,
s'avère indispensable à la compréhension du Coran, on voit mal
pourquoi les musulmans reprochent à la Torah et à l'Evangile de
comporter des sections narratives. Si l'extraordinaire vérité
du don du Coran est validée par des hadiths humains, extérieurs
à la révélation et qui, de plus, comportent maintes
divergences de détails entre eux, et parfois même de graves
erreurs de nature scientifique, en vertu de quoi un musulman
peut-il prétendre que l'extraordinaire fait de la mort de Jésus
pour nos péchés ne peut être validé par un "matériau du
type Hadith" inclus dans la révélation de l'Evangile?
Le matériau explicatif dans la révélation de l'EvangileLes chrétiens croient que les hommes qui ont écrit l'Evangile ont été guidés par le Saint-Esprit dans leur choix du "Hadith explicatif" de la même façon qu'ils ont été guidés dans le choix des paroles de Jésus. La véracité historique des récits tels que: - l'entretien de l'ange Gabriel avec Marie; - la naissance virginale de Jésus; - les signes et les miracles que Jésus accomplit pour prouver qu'il était lui-même messager, Messie et Parole de Dieu; - sa mort sur la croix; - sa résurrection d'entre les morts - et son ascension, est incluse dans l'unique Révélation donnée par Dieu, le
Créateur, Yahweh Elohim, par l'intermédiaire du Saint-Esprit.
Ou, pour l'exprimer différemment et plus simplement, nous
considérons que chaque chapitre de la Bible est implicitement
introduit par les mots : "Dieu dit" (qala Allah,~ ). Pourquoi faire intervenir les hadiths dans ce livre?Pour quelles raisons faisons-nous appel au témoignage des hadiths dans un ouvrage qui, comme celui-ci, ne s'intéresse qu'à La Bible, le Coran et la Science? L'explication est fort simple. Le Coran ne constitue à lui seul que la moitié du support de la foi de nombreux musulmans. Pour être plus exact, tout livre qui veut traiter des rapports entre la foi chrétienne, la religion musulmane et la Science devrait s'intituler La Bible, le Coran-Hadith, et la Science. C'est pourquoi il ne suffit pas d'examiner ce que le seul Coran dit de la Torah et de l'Evangile. Il faut y ajouter le témoignage du Hadith. Nous nous limiterons au seul aspect qui a jusqu'à présent retenu notre attention: confirme-t-il, oui ou non, l'accusation portée contre les juifs et les chrétiens d'avoir changé la Bible? Par ailleurs, un certain nombre de hadiths abordent des
questions scientifiques. Le Dr. Bucaille l'admet et consacre un
court chapitre de son livre à une discussion sur ce sujet (p.
245). Il déclare que même certains hadiths forts comportent de
graves erreurs scientifiques. Cela soulève de sérieux
problèmes, tant théologiques que scientifiques, comme nous le
verrons sur des exemples lorsque nous aborderons la question
scientifique. L'intégrité de la Bible d'après le Hadith(13)Au chapitre I de la deuxième section, nous avons signalé que le Coran contient plus d'une centaine de références à la Torah et à l'Evangile. Il n'est pas étonnant que nous en trouvions des mentions dans plusieurs hadiths. Ainsi, d'après Mishkat al-Masabih(14), Livre I, chap. VI: Abu Huraira rapporte les paroles suivantes du messager de Dieu : "Dans les derniers jours, il viendra des dajjals menteurs qui vous apporteront des traditions dont ni vous ni vos pères n'aviez jamais entendu parler; c'est pourquoi, soyez sur vos gardes. Ils ne vous égareront pas et ne vous séduiront pas." Hadith transmis par Muslim. Il dit aussi que le peuple du Livre avait l'habitude de lire la Torah en hébreu et qu'il l'exposait ensuite en arabe aux musulmans; c'est pourquoi le message de Dieu déclara : "Ne soyez ni crédules ni incrédules envers le peuple du Livre, mais dites: O musulmans, nous croyons en Allah et en ce qui a été révélé à Abraham, et à Ismaël, et à Isaac, et à Jacob, et aux tribus, à ce que Moïse et Jésus ont reçu, et ce que les prophètes ont reçu de leur Seigneur. Nous n'établissons aucune distinction entre eux et à Lui nous nous soumettons." (Coran 2.136). Transmis par Bukhari. Muhammad ne confirme ni n'infirme l'interprétation du peuple du Livre. Il ne se prononce pas non plus sur le texte de la Torah, tel qu'il le connaissait. Dans son commentaire sur Bukhari, Ayni explique que les musulmans étaient incapables de discerner si les interprétations données par le peuple du Livre concordaient réellement avec la Torah, sachant que confirmer un mensonge provoquait la colère de Dieu au même titre que nier la vérité. Les traditions relevées dans Mishkat al-Masabih, Livre VIII, chap. I, p. 454; Livre I, chap. VI, p. 49 ; Livre XX, p. 49 ; Livre XX, chap. I, p. 892 sont quelque peu semblables: "Abu Huraira rapporte qu'un jour le messager de Dieu demanda à Ubai b. Ka'b ce qu'il récitait au moment de la prière. Ubai b. Ka'b récita alors Umm al-Coran. Alors le messager de Dieu déclara : Par Celui qui tient mon âme entre ses mains, rien de comparable n'a été révélé dans la Torah, ni dans l'Injil, ni dans les Zabur, ni dans le Coran. Ce sont sept des versets les plus souvent répétés du glorieux Coran que j'ai reçu." Transmis par Tirmidhi. Jabir raconte que 'Umar b. al-Khattab apporta au messager de Dieu un exemplaire de la Torah en disant: "Messager de Dieu, voici un exemplaire de la Torah". Comme il ne recevait pas de réponse, il se mit à lire, au mécontentement évident du messager de Dieu. Alors Abu Bakr déclara: "Excuse-toi, ne vois-tu pas l'expression du visage du messager?" Alors 'Umar leva ses yeux vers le messager de Dieu et dit : "C'est en Dieu que je recherche refuge pour me protéger de la colère de Dieu et de son messager. Nous sommes pleinement satisfaits avec Dieu pour Seigneur, l'islam pour religion et Muhammad pour prophète." Ensuite le messager de Dieu dit : "Par celui qui tient entre ses mains l'âme de Muhammad, si Moïse t'était apparu, que tu l'eusses suivi, en m'abandonnant, tu aurais erré loin du chemin droit. S'il était vivant et qu'il eût connaissance de ma mission prophétique, il me suivrait." Transmis par Darimi(15). Salman déclara avoir lu dans la Torah que la bénédiction de la nourriture dépend des ablutions qui suivent le repas ; quand il en eut fait part au Prophète, celui-ci reprit : "La bénédiction de la nourriture dépend des ablutions faites avant et après le repas." Transmis par Tirmidhi et Abu Dawud. Muhammad n'interdit pas la lecture de la Torah et ne nie pas son existence. Son silence tend plutôt à confirmer son existence. De même, il est dit au Livre XXVI, chap. XXXIX, pp. 1371 et 1372 de Mishkat al-Masabih: Khaithama b. Abu Sabra dit: J'étais venu à Médine et j'avais demandé à Dieu de m'accorder un bon compagnon et Dieu me donna Abu Huraira. Je pris place à ses côtés et lui racontai comment j'avais demandé à Dieu de me donner la faveur d'un bon compagnon et que le choix de Dieu s'était porté sur lui. Il me demanda d'où je venais. Je répondis que je venais d'al-Kufa et que mon désir du bien m'avait conduit ici. Il me demanda alors : "N'as-tu pas parmi les tiens Sa'd b. Malik dont les prières ont été exaucées, Ibn Mas'ud qui a cherché l'eau nécessaire aux ablutions du Prophète, ainsi que ses sandales, Hudhaifa qui fut le confident du messager de Dieu, 'Ammar que Dieu protège du diable, par la langue de son Prophète, et Salman qui croyait dans les deux livres?" indiquant par là l'Injil et le Coran. Transmis par Tirmidhi. Peu importe que cette tradition identifie les deux livres (kitabain) comme étant l'Injil et le Coran plutôt que comme la Torah-Ancien Testament et l'Evangile-Nouveau Testament. Le point essentiel ici, c'est de constater que cette tradition aussi reconnaît l'existence de ces livres, du moins en tout cas de l'Injil. La tradition suivante est tirée du Livre II, chap. I, pp. 62 et 63 de Mishkat al Masabih: Ziyad b. Labid dit: Le Prophète parla d'un certain sujet et déclara: "Cela se produira lorsque la connaissance disparaîtra". Je lui répondis: "Comment la connaissance pourrait-elle disparaître puisque nous récitons le Coran, que nous l'enseignons à nos enfants qui, à leur tour, l'enseigneront aux leurs, et ainsi de suite jusqu'au Jour de la Résurrection? Il répliqua: "Tu m'étonnes, Ziyad! Je pensais que tu étais l'homme le plus instruit de Médine. Ces juifs et ces chrétiens ne lisent-ils pas la Torah et l'Injil bien qu'ils ignorent tout à propos de leurs contenus? Transmis par Ahmad et lbn Majah ; Tirmidhi transmit quelque chose de semblable de lui comme le fit Darimi d'un récit de Abu Umama. Le Hadith, comme le Coran, s'en prend aux juifs et aux chrétiens pour leur ignorance. Mais Muhammad indique clairement et explicitement qu'ils lisaient la Torah et l'Injil et non une Torah et un Injil corrompus ou amputés. Peut-être faisait-il référence aux juifs arabes et aux chrétiens arabes qui ne pouvaient comprendre la langue de la Torah ni celle de l'Injil. Mais alors, il faut se demander combien de personnes lisent et méditent leurs écrits sacrés en saisissant pleinement leur sens? Arrivons-en au cas probant de Waraqa bin Naufal. L'important n'est pas de savoir s'il savait lire ou non. Dans le chapitre intitulé "Comment prit naissance la révélation", Bukhari raconte dans quelles conditions Muhammad reçut la première révélation des premiers versets de la Sourate 96. Après avoir eu ces versets, Muhammad retourna chez Khadijâ. Citons l'extrait du Hadith qui rapporte ces informations. Khadijâ le conduisit chez son cousin Waraqa bin Naufal. Celui-ci avait embrassé le christianisme lors de son âge d'ignorance, et il avait pris l'habitude de transcrire l'Ecriture hébraïque et l'Injil de l'hébreu, tant que Dieu lui en avait accordé la force de le faire. Waraqa était très âgé et il était privé de la vue. Cette tradition soutient, elle aussi, que le Livre (al-Kitab), sans doute la Torah-Ancien Testament et l'Evangile-Nouveau Testament existaient et qu'ils étaient connus même dans les régions reculées de l'Arabie. La tradition suivante est encore extraite de Mishkat al-Masabih, Livre IV, chap. XLIII, p. 285 Abu Hurairi dit: Je me rendis à at-Tur et rencontrai Ka'b al-Ahbar. Je m'assis à ses côtés; il me parla de la Torah et moi, je lui parlai du messager de Dieu. Une des choses que je lui ai dites est celle-ci : "Le messager de Dieu a déclaré : "Le meilleur jour sur lequel le soleil s'est levé est le vendredi ; en ce jour, son repentir a été accepté ; ce jour-là, il mourut ; en ce jour viendra la dernière heure ; le vendredi, toute bête est aux aguets, du crépuscule jusqu'au lever du soleil, dans la panique de la dernière heure, mais non les djinns ni les hommes ; il caractérise un temps où aucun musulman ne demandera quoi que ce soit dans la prière sans que Dieu le lui accorde." Ka'b répondit qu'il ne s'agissait que d'un seul jour par an ; mais comme j'insistai que c'était bien tous les vendredis, Ka'b lut la Torah et déclara que le messager de Dieu avait dit vrai. Abu Huraira poursuivit : Je rencontrai 'Abdallah b. Salam et lui fit part de mon entretien avec Ka'b al-Ahbar et de ce que je lui avais dit au sujet du vendredi et lui rapportai également la réaction spontanée de Ka'b qui prétendait qu'il ne s'agissait que d'un jour par an. 'Abdallah b. Salam affirma que Ka'b avait menti, mais quand je lui eus dit que Ka'b avait ensuite lu la Torah et reconnu qu'il s'agissait bien de chaque vendredi, il affirma que Ka'b avait dit la vérité. Malik, Abu Dawud, Tirmidhi et Nisa'i l'ont transmis; Ahmad a transmis l'affirmation selon laquelle Ka'b avait dit la vérité. Par sa première réaction Ka'b se méprend sur la Torah, c'est-à-dire qu'il s'est rendu coupable de al-tahrif al ma'nawi. Mais par la suite, Ka'b se réfère à la Torah, une Torah authentique, non corrompue, et admet son erreur. Mishkat al-Masabih mentionne plusieurs traditions (Livre XXVI, chap. XVIII, pp. 1232-1233, et chap. XIX, p. 1244) d'après lesquelles la Torah annonçait la venue de Muhammad: 'Ata ben Yasar a dit : "Je rencontrai 'Abdallah b. 'Amr b. al-'As et lui demandai de me faire connaître la description de l'Envoyé de Dieu qui se trouve dans la Torah". "Volontiers, me répondit-il. Par Dieu! Il est décrit dans la Torah par certaines qualités que lui donne le Coran. O Prophète, Nous t'avons envoyé comme témoin, comme messager pour annoncer les récompenses et les châtiments et comme défenseur vers les illettrés. (Al-Ahzab 33.45. La citation suivante est tirée de la Torah-Ancien Testament, Esaïe 42.1-3, 6-7)(16). "Tu es mon serviteur et mon Envoyé. Je t'ai appelé : Celui qui met sa confiance en Dieu. Ce prophète n'est ni cruel ni inhumain. Il ne vocifère pas dans les marchés. Il ne rend pas le mal pour le mal, mais il est indulgent et il pardonne. Dieu ne le rappellera pas à Lui avant qu'il n'ait redressé la religion déformée et que les arabes ne disent : 'Il n'y a d'autre divinité que Dieu'. Grâce à ses paroles, il ouvrira les yeux des aveugles, les oreilles sourdes et les coeurs fermés." Transmis par Bukhari; Darimi rapporte quelque chose de semblable qu'il a reçu de 'Ata qui, lui-même, le tenait de Ibn Salam. Anas raconte le fait suivant. Le Prophète avait pour serviteur un jeune juif qui tomba malade. Muhammad se rendit à son chevet et trouva le père de son serviteur, à la tête du lit et récitant la Torah. Le messager de Dieu lui dit : "O juif, je t'adjure, par le Dieu qui a donné la Torah à Moïse de me dire si tu peux trouver dans la Torah un récit ou une description qui se rapporte à moi, ou quoi que ce soit qui soit en rapport avec ma venue." Comme le père répondit qu'il ne le pouvait, le jeune homme reprit: "Je jure devant Dieu, ô messager de Dieu, que nous trouvons certainement un récit et une description qui te concerne ainsi qu'une affirmation relative à ta venue, et j'atteste qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que tu es son messager. Le Prophète dit alors à ses compagnons: "Retirez cet homme qui est à côté de sa tête, et prenez soin de votre frère." Baihaqi le transmit dans Dala'il al-Nubuwa. D'autres traditions qui se font l'écho de récits authentiques sont rapportées dans Mishkat al-Masabih (pp. 1237, 1249). Toutes ces traditions supposent l'existence d'une authentique Torah. Le père et son fils malade sont en désaccord sur leur interprétation de la Torah, mais aucune de ces traditions n'accuse les juifs d avoir corrompu le texte de la Torah. Note de l'éditeur : La citation mentionnée dans le premier des deux extraits rapportés plus haut, est tirée de la Torah-Ancien Testament et était considérée comme digne d'être acceptée par 'Ata b. Yassar; on peut lire ce texte dans la prophétie d'Esaïe, écrite 700 ans avant la venue du Messie. Voici cette citation: "Voici mon serviteur auquel je tiens fermement, Nous sommes en présence de deux témoins: le texte d'Esaïe dans la Torah-Ancien Testament et le Hadith. Puisque les deux témoins déclarent très sensiblement la même chose, on peut en déduire que le texte d'Esaïe n'a pas été altéré. On peut raisonnablement penser que le reste du Hadith est aussi un compte rendu fiable de la conversation qu'il rapporte. Cela ne résout pas la question de savoir si 'Abdallah b. 'Amr a eu raison d'appliquer cette prophétie à Muhammad. L'Injil l'applique à Jésus (Matthieu 12.18-21); le Coran et l'Injil affirment que c'est Jésus qui a ouvert les yeux des aveugles. Ce double témoignage constitue une preuve solide qu'on ne doit pas trop facilement écarter! D'après Mishkat al-Masabih, Livre XVI, chap. I, p. 758: 'Abdallah b. 'Umar rapporte que des juifs s'étaient approchés du messager de Dieu et lui avaient raconté qu'un homme et une femme des leurs avaient commis adultère. Il (Muhammad) leur demanda ce qu'ils avaient trouvé dans la Torah à propos de la lapidation; ils répondirent qu'ils devaient mettre les coupables en disgrâce et leur infliger des coups. 'Abdallah b. Salam dit alors : "Vous mentez elle contient des instructions selon lesquelles les coupables doivent être mis à mort par lapidation ; apportez donc la Torah. Ils l'ouvrirent l'un d'entre eux plaça sa main sur le verset qui mentionnait la lapidation et lut ce qui précédait et ce qui suivait ce passage occulté. 'Abdallah b. Salam lui demanda d'ôter sa main qui cachait le texte; quand il l'eut retirée, le texte de la lapidation apparut distinctement. Alors ils dirent: "Muhammad a dit la vérité : le verset relatif à la lapidation est en elle." Le Prophète donna donc l'ordre de les lapider. Dans une autre version il est dit que lorsqu'il (Muhammad) lui (au juif) demanda de lever sa main ce qu'il fit, montrant du même coup le verset relatif à la lapidation. Alors l'homme déclara : "Il contient bien le verset sur la lapidation, Muhammad, mais nous l'avions caché". Alors il donna l'ordre des les faire lapider jusqu'à ce que mort s'ensuive. (Bukhari et Muslim). Dans ce récit, Muhammad accepte ouvertement le commandement de la Torah et ne laisse nullement entendre que le texte a été abrogé ou corrompu. Ce cas constitue un exemple auquel se réfère le Coran quand il accuse les juifs de dissimuler et de modifier la Torah verbalement mais non textuellement. Citons encore Mishkat al-Masabih, Livre XIII, chap. III, p. 667: Umar b. al-Kattab et Anas b. Malik rapportent que le messager de Dieu a dit que dans la Torah il est écrit : "Si quelqu'un refuse de donner sa fille en mariage, alors qu'elle a atteint l'âge de douze ans, et qu'elle commette le péché, c'est le père qui sera tenu pour responsable." Baihaqi a transmis les deux traditions dans Shu'ab al-iman. D'après ce témoignage Muhammad possède une certaine connaissance de la Torah et va même jusqu'à en citer un passage. Il indique clairement ce qui est écrit dans la Torah et non ce qui était écrit dans la Torah désormais corrompue ou abrogée. Mentionnons encore deux traditions qui datent du califat d'Omar (13-23 de l'Hégire), car elles entrent bien dans le cadre de notre discussion. D'après Mishkat al-Masabih, Livre XVII, chap. III, p. 795: Sa'id b. al-Musayyib raconte qu'un musulman et un juif se présentèrent devant 'Umar et lui demandèrent d'arbitrer leur différend ; considérant que le juif était dans son droit, 'Umar émit un jugement en sa faveur. Mais quand le juif eut dit : "Je jure devant Dieu que tu as prononcé une juste sentence ", il le frappa d'un coup de fouet et lui demanda la raison d'une telle affirmation. Le juif répondit: "Je jure devant Dieu que nous trouvons dans la Torah qu'aucun qadi ne peut juger avec droiture s'il n'a un ange à sa droite et un ange a sa gauche pour le diriger et le disposer à ce qu'il est juste aussi longtemps qu'il s'attache à la droiture ; mais dès qu'il abandonne ce qui est juste, les anges remontent et l'abandonnent." 'Transmis par Malik. L'autre tradition est rapportée par Darimi dans Sunan, Muqaddima 56. Abbad ben Abbad Abu Ataba cite une lettre dans laquelle Omar ben Al-Khattab déclare: Si les docteurs et les moines n'avaient pas craint la disparition de leur rang et l'abolition de leur dignité par l'observance de l'Ecriture et son enseignement (aux autres), ils n'auraient ni falsifié (harrafu) ni dissimulé (katamu, ~ ) (I'Ecriture). Comme ils ont contrevenu à l'Ecriture par leurs agissements, ils ont cherché à tromper leur peuple à propos de ce qu'ils avaient fait. de peur de voir aboli leur prestige et dévoilée aux hommes leur corruption. Ils ont donc falsifié (harrafu, ~ ) l'Ecriture par l'interprétation, et ce qu'ils n'ont pas pu falsifié, ils l'ont dissimulé (katamu, ~ ). Ainsi ont-ils passé sous silence leurs agissements afin de garder leur prestige, de même qu'ils ont passé sous silence les agissements de leur peuple par basse complaisance. Dieu fit alliance avec ceux qui ont reçu l'Ecriture pour qu'ils la fassent connaître aux hommes sans la dissimuler. Mais ils ont rusé avec elle et l'ont adapté à leur avantage." Le premier de ces hadiths ne prétend nullement que Omar a refusé au juif le droit à s'en référer à la Torah. Dans le second, il reproche aux juifs et aux chrétiens de falsifier l'Ecriture par leur interprétation et de cacher ce qu'ils ne pouvaient falsifier. Comme le fait le Coran, cette tradition reconnaît la possibilité d'interpréter faussement l'Ecriture (al tahrif al ma'nawi) mais elle ne dit rien d'une corruption du texte d'alors de l'Ecriture (al-tahrif al-lafzi). En rapprochant ces deux hadiths de celui évoqué plus haut et qui rapporte qu'Omar avait présenté un exemplaire de la Torah pour la lire en présence de Muhammad, on peut en déduire qu'Omar considérait, lui aussi, que la Torah était authentique et qu'elle n'avait subi aucune altération. Pourtant il existe aussi une tradition, rapportée par Bukhari, et qui appuie l'accusation portée par les musulmans contre les "gens du Livre" d'avoir corrompu le texte de leurs Ecritures. Cette tradition remonte à Abdallah Ibn Abbas qui avait 14 ans lors de la mort de Muhammad, et qui fut plus tard nommé gouverneur de Al-Basra, par Ali. Obaïd-allah ben Abdallah ben Otba rapporte les propos de Abdallah Ibn Abbas: O musulmans, qui êtes ici rassemblés, comment se fait-il que vous questionnez les gens du Livre, alors que votre livre, qui a été révélé à votre prophète, vous donne des informations plus récentes de la part de Dieu, et que ce livre que vous récitez n'a pas été altéré. Dieu vous a annoncé que les gens du Livre avaient modifié (baddalu, ~ ) le texte écrit de ses paroles et que, de leurs mains, ils avaient changé ( ghaiyaru, ~ ) le contexte du Livre en disant qu'il leur était venu ainsi de Dieu lui-même afin d'acquérir par là une chose à vil prix. Ce que vous avez reçu de la science ne vous interdit-il donc pas de questionner ces gens-là? Et par Dieu, voyons-nous un seul d'entre eux vous questionner au sujet de la révélation que vous avez reçue?"(17) Si ce texte constituait la seule référence du Hadith aux Ecritures anciennes, il donnerait aux musulmans le bois pour alimenter le feu de leurs accusations contre les gens du Livre, jugés coupables d'avoir corrompu le texte de leur Torah. Mais, dans l'état actuel de nos connaissances, ce document doit être versé au dossier de notre enquête comme seule référence négative et contradictoire, à côté des nombreuses allusions faites par le Hadith à l'existence d'une Torah et d'un Evangile non frelatés au sein de la communauté musulmane primitive. Il est bien évident que nos arguments fondés sur le témoignage du Hadith n'ont pas grande valeur pour les musulmans qui n'ont qu'une confiance limitée dans le Hadith. Mais quel que soit le jugement porté sur la valeur du Hadith, il faut bien faire remarquer que Mishkat al-Masabih ne contient pas la moindre référence à une prétendue corruption du texte des Ecritures anciennes. Au contraire, et en l'absence de tout autre témoignage, nous pouvons affirmer que le Hadith intégral, à une exception près, est dépourvu de toute accusation, de falsification à l'encontre des Ecritures anciennes. Il est évidemment possible que des juifs insensés, pris individuellement aient corrompu le contenu de leurs livres ; autrement dit, il se pourrait que nous trouvions des exemples isolés de textes corrompu. Une telle constatation permet de concilier la tradition négative unique évoquée ci-dessus avec le courant traditionnel général du Hadith qui déclare que les Ecritures confiées aux juifs et aux chrétiens sont demeurées intactes et authentiques. En résumé, et d'après les hadiths que nous avons analysés: Waraqa écrit ou traduit des "Ecritures hébraïques", donc des Ecritures non falsifiées ; Muhammad constate que les "juifs et les chrétiens lisent la Torah et l'Injil", donc pas d'allusion à une Torah et a un Injil corrompus. Avec un exemplaire de la Torah dans ses mains, Muhammad prononce un jugement conforme au contenu de la Torah ; ailleurs il cite encore la Torah et ne dit rien qui puisse faire penser que, de son temps, la Torah était corrompue. En somme, l'étude du Hadith nous amène à la même conclusion que l'étude du Coran, faite au chapitre précédent. DU VIVANT DE MUHAMMAD IL EXISTAIT, AUSSI BIEN A LA MECQUE QU'A MEDINE, UNE TORAH ET UN EVANGILE DONT LE TEXTE N'AVAIT PAS ETE ALTERE.
1. Le mot hadith se met au singulier ou au pluriel (comme les noms de la langue française), selon qu'il désigne un ou plusieurs récits. Mais quand le mot est employé pour désigner la tradition dans son ensemble, le mot hadith reste singulier. [retourner au texte] 2. Quarante Hadiths de An-Nawawi, Sud Editions, Tunis, 1980. [retourner au texte] 3. "The Six Authentic Books of Hadith". The Muslim World League Journal. avril-mai l983, p.20. [retourner au texte] 4. University of Chicago Press, Chicago. 2e édition. 1979, pp 133-134. [retourner au texte] 5. Quand un hadith est transmis oralement et appris par coeur, on donne souvent le 'lsnad, c'est-à-dire la chaîne des personnes qui a transmis ce ou ces récits. Dans la citation précédente, l'auteur n'a mentionné que les premiers maillons de cette chaîne. [retourner au texte] 6. An-Nawawi, op. cit., pp. 8-10. [retourner au texte] 7. Ibid., pp. 11-14. [retourner au texte] 8. Voir la revue Manar Al-Islam, janv.-fév. 1981, pp. 109-112. [retourner au texte] 9. J'ai l'impression, personnellement, que le démonstratif "ce", marqué d'un double astérisque se réfère au Coran. D'après le contexte (v.10) " Dieu révéla donc vers Son esclave ce qu'Il révéla", il semble peu probable que ce soit le Hadith qui soit envisagé ici. [retourner au texte] 10. Hamidullah, op cit., p. xiii. [retourner au texte] 11. Rahman, op. cit., p.66. [retourner au texte] 12. Il faut prendre le mot "humain" comme qualifiant la nature de la décision que chacun doit prononcer sur la valeur du Hadith, en le reconnaissant "faible" ou "fort". [retourner au texte] 13. Cette partie est presque entièrement tirée de The Integrity of the Bible according to the Qu'ran and the Hadith, de Ghiyathuddin Adelphi et Ernest Hahn, de l'Institut Henry Martyn, Hyderabad, 1977, pp.28-39. Avec l'autorisation des auteurs. [retourner au texte] 14. Mîshkat al-Masabih, trad. anglaise de James Robson; Ashraf, Lahore, 1963, p. 42. [retourner au texte] 15. Ce Hadith décrit une situation inconcevable pour des chrétiens. Pourquoi Muhammad fut-il irrité lorsque 'Umar lui présenta la Torah? Pourquoi ne voulut-il pas se réjouir devant la Parole de Dieu donnée à Moïse? Jésus a constamment fait appel à la Torah-Ancien Testament et a réprimandé les chefs Juifs de n'avoir pas sondé les Ecritures qui rendaient témoignage de lui (Jean 5.39-40, 45-47). [retourner au texte] 16. Le texte entre parenthèses est ajouté par l'auteur du présent ouvrage. [retourner au texte] 17. Bukhari, Sahih. Kitab al-Shahada, sous le n° 29 chez J.W. Sweetman. Islam and Christian Theology, première partie, vol II, Lutterworth Press, Londres, 1947. p.139. [retourner au texte] |